Emma-Jean Thackray : l’étoile qui réinvente le jazz orchestral moderne

23 avril 2025

Emma-Jean Thackray n’a jamais cherché à cocher les cases d’un parcours classique. Originaire de Yorkshire, elle a grandi loin des grandes métropoles musicales britanniques. Ce qui pourrait être une limite pour d’autres s’est transformé pour elle en une richesse insoupçonnée. Enfant, elle tombe amoureuse de l’idée de raconter des histoires en sons, jouant d’abord de la cornet à la fanfare locale avant de se familiariser avec d’autres instruments.

Bercée par des influences variées, Emma-Jean ne s’est jamais enfermée dans un cadre restreint. Du jazz de Miles Davis à la musique classique contemporaine, en passant par la culture rave britannique, ses goûts éclectiques sont les premières pièces du puzzle qu’elle compose aujourd’hui. Cette diversité se ressent jusque dans ses projets les plus récents.

Pour comprendre en quoi Emma-Jean Thackray bouscule les codes, il faut d’abord revenir à ce qu’est le jazz orchestral moderne. Né dans les big bands des années 1930 et 1940, ce style s’est imposé comme une forme festive et structurée du jazz. Les orchestres dirigés par Duke Ellington ou Count Basie ont bâti ses fondations avec leurs arrangements complexes et leurs prouesses collectives.

Là où Emma-Jean Thackray perturbe cette tradition, c’est en adoptant une approche qui mêle orchestration classique et textures électroniques. Dans son univers, chaque instrument joue avec l’espace sonore, déconstruisant la hiérarchie linéaire d’un grand ensemble. Ajoutez à cela des grooves hypnotiques empruntés au funk et à l’afrobeat… et le résultat est une nouvelle grammaire, presque chamanique.

En 2021, Emma-Jean Thackray a frappé un grand coup avec son premier album, "Yellow". Considéré comme un manifeste, il illustre parfaitement son ambition : faire du jazz un liant universel. Mais attention, "Yellow" n'est pas qu’un exercice de style ou un hommage scolaire. L'œuvre vibre d’une énergie pure, accessible et introspective à la fois.

Inspiré par l’héritage spirituel de John Coltrane et Alice Coltrane, par Sun Ra ou encore les rituels collectifs, "Yellow" est une célébration de la connexion humaine. Emma y intègre des chœurs transcendants, mêlant gospel et soul, sur des rythmes oscillants entre house et broken beat. La piste d’ouverture, "Mercury", donne le ton avec ses cuivres rutilants et une lancinante boucle électro qui saisit l’auditeur dès la première note.

Elle confie elle-même dans une interview au Guardian que cet album était conçu "non pas juste pour être écouté, mais pour être ressenti". Et c'est précisément cela qui fait d'elle une artiste à part : une capacité à fusionner le cérébral et l'émotionnel en une seule œuvre cohérente.

L’un des secrets d’Emma-Jean Thackray réside dans sa manière de travailler. Productrice accomplie, elle contrôle chaque aspect de son art, de l’écriture aux arrangements, en passant par l’enregistrement et le mixage. Ce niveau d’indépendance — rare dans le monde du jazz orchestral — lui permet une liberté totale pour expérimenter.

Son studio devient alors un laboratoire sonore où chaque note est soigneusement calibrée mais garde la spontanéité du jazz. Par exemple, sur le morceau "Our People", Emma empile des mélodies de trompette sur un fond rythmique inspiré de la deep house, tout en intégrant des éléments improvisés captés lors des sessions d’enregistrement. Cette audace technique ouvre une porte vers des paysages sonores envoûtants que peu d’artistes osent explorer.

Londres, avec son effervescence culturelle et sa scène jazz foisonnante, s’est naturellement imposée comme le terrain de jeu idéal pour Emma-Jean Thackray. Elle s’inscrit dans une nouvelle génération d’artistes britanniques qui repoussent les frontières du jazz, aux côtés de Moses Boyd, Shabaka Hutchings ou Nubya Garcia. Ensemble, ils redéfinissent les contours d’un genre en le connectant à des réalités contemporaines.

Mais Emma ne se limite pas à une scène locale. Ses collaborations internationales témoignent de son envie constante d’élargir son horizon. On peut citer, entre autres, sa prestation au prestigieux Montreux Jazz Festival ou des apparitions aux États-Unis, où sa musique est accueillie comme une bouffée d’air frais, renouant avec une certaine tradition afro-spirituelle aujourd’hui trop rare.

Emma-Jean Thackray ne donne pas l’impression de vouloir ralentir. Avec une créativité effervescente, on peut s’attendre à ce qu’elle continue à pousser les limites du jazz orchestral et au-delà. Si "Yellow" est un prélude, rien ne semble hors de portée pour une artiste capable de transformer chaque influence en une forme d'art unique.

Qu’il s’agisse d’enregistrements en studio, de collaborations inédites ou de performances live prônant la communion et la spiritualité, le futur d’Emma-Jean Thackray promet de nouvelles envolées. Une chose est sûre : où qu’elle aille, elle emmène tout le monde dans son voyage sonore.

Emma-Jean Thackray donne au jazz orchestral une nouvelle jeunesse, une nouvelle urgence. À travers sa musique, elle invite le public à oublier les étiquettes et à plonger dans un univers libre, multiculturel et universel. Et c’est peut-être cela, le plus grand héritage de son travail : nous rappeler que le jazz ne meurt jamais, il se transforme, s’adapte et réinvente le monde. Avec "Yellow" comme jalon et de grands projets en cours, Emma-Jean est bien plus qu’une étoile montante. Elle est l’éclat d’un jazz du futur.