Kamasi Washington : Une symphonie spirituelle au cœur du jazz moderne

5 avril 2025

Kamasi Washington naît et grandit à Los Angeles, dans le quartier de Compton, une ville davantage associée au hip-hop qu’au jazz. Il baigne dès son plus jeune âge dans une famille de musiciens : son père Rickey Washington, saxophoniste et flûtiste, joue un rôle crucial dans son éducation musicale. Kamasi, très tôt, adopte le saxophone ténor comme instrument principal, mais c’est au-delà de son jeu individuel que son génie s’exprime : dans sa capacité à orchestrer, rassembler et transmettre une vision collective du jazz.

Son parcours académique est tout aussi impressionnant : il suit le programme de jazz de l’Université de Californie (UCLA) et commence très jeune à jouer avec des figures majeures du jazz et du R&B, telles que Gerald Wilson, Stanley Clarke et Chaka Khan. Mais là où beaucoup seraient tentés de s’intégrer dans une tradition classique, Kamasi fend les habitudes et construit son propre chemin.

Pour comprendre comment Kamasi Washington redéfinit le jazz, il faut remonter à 2015, l’année où l’album The Epic frappe le monde musical comme une comète. Ce triple album colossal de près de trois heures emprunte autant à la tradition qu’à l’avant-garde et réunit un orchestre de cordes, une chorale et le collectif West Coast Get Down, dont Washington est un membre central.

  • Les chiffres d’une ambition hors-norme : Composé de 17 morceaux, The Epic a été enregistré en moins de 30 jours au Foster Studio à Los Angeles. Ce qui rend cet exploit encore plus incroyable, c’est la cohésion sonore résultant de centaines d’heures d’improvisation et de jam sessions.
  • Une invitation au voyage spirituel : Avec des titres comme Change of the Guard ou The Rhythm Changes, Washington transcende le jazz traditionnel en y ajoutant une dimension spirituelle et cosmique, souvent comparée à John Coltrane ou Pharoah Sanders.

Ce qui distingue Kamasi, c’est la manière de concevoir l’album dans sa totalité. The Epic n’est pas simplement un recueil de morceaux mais une fresque narrative où chaque composition est une brique d’un univers sonore et spirituel. L’album a reçu un accueil extraordinaire, avec des critiques dithyrambiques dans des médias tels que Pitchfork, The Guardian, ou encore Rolling Stone. Soudain, le jazz orchestral, souvent perçu comme élitiste, devenait un terrain d’exploration populaire et fédérateur.

Kamasi Washington n’appartient pas seulement au jazz contemporain, il s’en échappe et s’y oppose parfois. Son esthétique englobe autant les teintes du hip-hop, de la soul que de l’afrobeat, apportant une fraîcheur qui attire un public bien au-delà des cercles jazz traditionnels.

Un exemple éclatant de cette démarche est sa participation à l’album révolutionnaire To Pimp a Butterfly (2015) de Kendrick Lamar. Washington contribue à l’architecture sonore d’un des projets les plus audacieux de la décennie, où jazz, funk et hip-hop s’entrelacent pour raconter une histoire afrocentrée puissante. La participation de Kamasi à cet album a permis de mettre en lumière l’importance du jazz dans les luttes sociales et raciales contemporaines.

Les collaborations qui redéfinissent le paysage musical :

  • Thundercat : Avec ce bassiste virtuose et membre du collectif West Coast Get Down, Kamasi pousse les limites du jazz fusion.
  • Flying Lotus : Dans une collaboration avec l’icône de l’avant-garde électronique, il explore des territoires musicaux inédits, floutant les frontières entre l’électro et le jazz.
  • Terrace Martin : Saxophoniste et producteur de renom, Martin partage avec Kamasi une vision moderniste du jazz en symbiose avec le hip-hop.

Ces collaborations ne sont pas anecdotiques : elles montrent clairement que pour Kamasi Washington, le jazz n’est pas un territoire isolé mais une substance vivante, perméable à d’autres langages musicaux.

La spiritualité occupe une place centrale dans l’œuvre de Kamasi. La presse parle souvent d’un “héritier de Coltrane”, et cette comparaison n’est pas usurpée. Tout comme Coltrane avec A Love Supreme, Kamasi cherche à transcender l’individuel par une musique qui élève et connecte. Dans ses interviews, il mentionne régulièrement sa volonté d’unir les gens à travers ses compositions.

Cet aspect se retrouve dans son album Heaven and Earth (2018), un projet monumental une fois de plus. L’album se divise en deux parties symboliques : “Heaven”, qui représente ce qui est spirituel et idéal, et “Earth” qui incarne le monde tangible et matériel. Les morceaux comme Street Fighter Mas, avec son groove hypnotique, ou Fists of Fury, une réinterprétation d’un classique porté par des paroles militantes, montrent cette synergie entre réflexion sociale et dimension spirituelle.

Une philosophie universelle

Kamasi Washington ne fait pas simplement de la musique : il propose une philosophie. Dans un monde fragmenté et divisé, sa musique prône l’unité, la diversité et l’inclusion. Ses concerts deviennent de véritables cérémonies où le public est emporté, transcendé. À cela s’ajoute une esthétique visuelle puissante : images monumentales, pochettes d’album symboliques, une iconographie qui fusionne influences classiques et modernité effervescente.

Le jazz orchestral et spirituel de Kamasi Washington n’est pas un simple retour en arrière. Au contraire, il représente un pont entre le passé, le présent et l’avenir. Avec une communauté d’artistes derrière lui et des projets toujours plus ambitieux, il est clair que son histoire musicale ne fait que commencer.

Pour les amateurs de jazz et de liberté sonore, Kamasi Washington est une source inépuisable d’émerveillement. Et pour tous les nouveaux explorateurs curieux, il ouvre des portes sur des univers qu’ils ne savaient peut-être pas même exister.

Alors, restez curieux, gardez l’oreille grande ouverte, et laissez-vous envelopper par le souffle kaléidoscopique de Washington. Ses notes ne sont pas faites que pour être entendues : elles sont là pour être vécues.