Robert Glasper : l’alchimiste du jazz et du hip-hop

8 avril 2025

Robert Glasper naît en 1978 à Houston, dans le Texas, et grandit dans un environnement où la musique est omniprésente. Elevé par une mère chanteuse de gospel qui se produisait aussi dans des clubs de jazz locaux, Glasper est exposé à un spectre musical très large dès son plus jeune âge. Lorsqu’il étudie à la New School for Jazz and Contemporary Music de New York, il forge des amitiés décisives avec des figures montantes du hip-hop comme Casey Benjamin et des membres du collectif Soulquarians, déjà portés par le souffle révolutionnaire de J Dilla, Erykah Badu ou Common.

Ces rencontres ouvrent à Glasper les portes d’un laboratoire créatif où hip-hop, néo-soul et jazz se côtoient. Là où les puristes voyaient des fossés entre les genres, Glasper percevait des ponts. « J’ai toujours vu le hip-hop comme une extension naturelle du jazz, explique-t-il dans une interview donnée à NPR. Après tout, les rythmes de J Dilla, c’est du swing ; c’est juste un autre langage. » Dès ses premiers albums dans les années 2000, Robert Glasper sème les graines de cette union musicale.

Quand le jazz rencontre le hip-hop au sommet

Le chef-d'œuvre incontesté de Glasper dans la fusion jazz/hip-hop est sans doute l'album Black Radio (2012). Enregistré avec son groupe, le Robert Glasper Experiment, cet album décroche un Grammy pour le Best R&B Album, un fait rare pour une œuvre profondément imprégnée de jazz.

Ce qui rend Black Radio si marquant, c’est sa diversité tant dans les collaborations que dans les styles. Glasper y invite des icônes du hip-hop et de la néo-soul comme Mos Def (Yasiin Bey), Lupe Fiasco, et Erykah Badu, tout en y mêlant la douceur des lignes de piano jazz caractéristiques de son jeu. Des titres comme Afro Blue avec Erykah Badu ou encore Always Shine avec Lupe Fiasco et Bilal montrent à quel point Glasper brise les frontières entre l’énergie urbaine et la sophistication harmonique du jazz.

Son second opus très attendu, Black Radio 2 (2013), poursuit cette approche avec encore plus d’ampleur. Les collaborations avec Common, Brandy, Snoop Dogg et Norah Jones viennent renforcer son message : le jazz n’est pas une musique poussiéreuse du passé, mais un répertoire pleinement intégré à la modernité, une malle à trésors capable de se renouveler au contact d’autres cultures artistiques.

L'ombre de J Dilla : l’héritage rythmique

L’une des signatures sonores qui cimentent Glasper comme un pionnier de cette fusion jazz/hip-hop est son utilisation de rythmes et de productions inspirées de J Dilla. Reconnu comme un pilier du beatmaking, Dilla a influencé toute une génération d’artistes en développant un style rythmiquement irrégulier, presque bancal, connu sous le nom de “Dilla time”. Dans des morceaux comme J Dillalude, issu de son album In My Element (2007), Robert Glasper rend un hommage explicite à ce style unique, intégrant des rythmes hachés et syncopés dans des harmonies purement jazz.

Au-delà de la musique, Glasper a redéfini la perception publique du jazz et de son rôle culturel. En amenant des figures populaires du hip-hop dans l’arène jazzistique, il a attiré un public plus jeune, plus diversifié, et plus connecté aux réalités contemporaines.

Cette fusion n’est pas seulement un phénomène esthétique. C’est aussi une histoire de narration : celle des origines afro-américaines communes des deux genres. Le jazz, comme le hip-hop, est né de la résilience face à l’oppression, des thèmes fondamentaux que Glasper ne cesse d’explorer dans ses œuvres. En témoigne son engagement politique et social marqué dans des projets comme la bande originale du film 13th d'Ava DuVernay, ou encore ses prises de position sur le racisme dans des morceaux comme Don’t Wanna Be Broke Anymore.

Robert Glasper ne se contente pas d’être un pionnier. Il est également un passeur. Son influence se fait sentir chez une nouvelle génération de musiciens qui, comme lui, bousculent les frontières des genres.

Des noms comme Thundercat ou Kendrick Lamar, dont l'album To Pimp a Butterfly a bénéficié du toucher artistique de Glasper, continuent d'élargir le dialogue entre jazz et hip-hop. Les artistes du label Blue Note rencontrent aujourd’hui une renaissance, justement grâce à cette approche décloisonnée initiée en partie par le pianiste texan. Au fond, Robert Glasper a montré que ce mélange n’était pas une tendance passagère, mais une langue commune dans la musique contemporaine.

  • Prix et distinctions : Robert Glasper est trois fois lauréat des Grammy Awards et a été nominé dans des catégories couvrant les genres jazz, R&B et même musique de film.
  • Succès d’audience : L’album Black Radio s’est vendu à plus de 100 000 exemplaires aux États-Unis en seulement deux ans, un chiffre significatif pour une œuvre jazz, genre considéré historiquement comme de niche.

Ces succès commerciaux montrent à quel point son travail transcende les barrières habituelles du jazz, attirant des auditeurs qui n’auraient peut-être jamais exploré le genre autrement.

Si le jazz est une musique de l’improvisation, alors qui mieux que Robert Glasper pour incarner son essence dans un monde en constante transformation ? En fusionnant le jazz et le hip-hop, il a plus qu’agrandi les horizons de ces deux genres. Il a ouvert des passerelles qui invitent à la création et au dialogue.

Tout laisse à penser que Glasper continuera d’influencer les générations à venir, en explorant de nouvelles textures et en repoussant les limites. À l’image de cet instant suspendu d’une improvisation au piano qui laisse deviner mille chemins encore possibles.