Yussef Dayes : le virtuose qui fait dialoguer jazz, hip-hop et broken beat

13 février 2025

Avant même de parler de musique, il faut parler d’où vient Yussef Dayes. Né en 1993 à South-East London, il grandit dans une famille où la musique est omniprésente. Sa mère, danseuse classique, et son père, un mélomane passionné de reggae et de musiques africaines, lui transmettent très jeune l'idée que la musique est avant tout une affaire de feeling et d'âme. Mais c’est avec ses frères qu'il découvre véritablement l’amour pour le groove. Son frère aîné a cofondé le duo United Vibrations, une expérience musicale foisonnante mêlant afrobeat, funk, jazz et punk, qui devient pour Yussef un premier laboratoire sonore où tout est permis.

Dès ses cinq ans, Yussef Dayes apprend la batterie et trouve rapidement ses premières influences dans des genres variés. Mais c’est sa rencontre avec le professeur de batterie Billy Cobham, légendaire figure du jazz fusion (notamment avec le Mahavishnu Orchestra), qui marque un tournant majeur. Dayes absorbe l’énergie virtuose de Cobham et commence à construire ce qui deviendra son langage musical unique.

Pour comprendre la signature sonore de Yussef Dayes, il faut se pencher sur sa façon d’appréhender le rythme. Le jazz, dans son essence, repose sur la liberté, l’improvisation et l’exploration ; l’héritage hip-hop, quant à lui, injecte des beats précis et souvent minimalistes, liés à la production. Dayes, lui, combine les deux dans une esthétique qu’on peut difficilement enfermer dans une seule case.

1. Une maîtrise du swing et de l'improvisation jazz

  • Yussef Dayes joue avec une grande liberté dans ses patterns rythmiques. Écoutez "Love Is The Message", un enregistrement live de l’artiste, et vous entendrez des polyrythmies complexes, influencées à la fois par la tradition jazz et les percussions africaines. Dans ce morceau, il jongle avec des motifs en constante évolution tout en laissant de la place aux autres musiciens.
  • Sa capacité à improviser en temps réel est fascinante : chaque concert est unique, le rythme n’est jamais figé, et les transitions se font de manière organique.

2. Le flirt avec le hip-hop et ses beats millimétrés

L’autre facette de Dayes réside dans son amour pour le hip-hop, en particulier celui de la vieille école. Il a souvent cité J Dilla, le légendaire producteur, comme l’un de ses héros. L’influence de Dilla se ressent notamment dans l’approche “offbeat” (désalignement subtil entre les frappes, parfois presque en retard, qui crée une tension rythmique irrésistible). Cette esthétique caractérise des morceaux comme “Black Classical Music”, extrait de son album avec le bassiste Tom Misch, où le groove rencontre une certaine lassitude créative propre au hip-hop.

3. Broken beat : cette autre composante de son ADN musical

Enfin, impossible de comprendre Yussef Dayes sans passer par le prisme du broken beat. Né dans les années 90 à Londres, ce courant mêle jazz, house et funk, avec une approche complexe des rythmiques syncopées. Yussef, en tant qu’enfant de cette scène, en a absorbé les codes. Les exemples abondent, notamment dans ses collaborations avec des artistes comme Mansur Brown (guitariste expérimental) ou Alfa Mist (pianiste et beatmaker). On y retrouve des drum patterns éclatés qui semblent jouer contre le temps mais finissent par retomber parfaitement en place.

Les collaborations sont essentielles dans la carrière de Yussef Dayes. Elles révèlent non seulement sa capacité d’adaptation, mais aussi son envie permanente de créer des ponts entre différents mondes musicaux.

  • Avec Tom Misch : Leur album commun "What Kinda Music" (2020) est une œuvre incontournable. Ce disque, à la croisée du jazz, de la soul et du R&B, illustre parfaitement la capacité de Dayes à amener son jeu à des terrains inattendus. Tom Misch apporte des mélodies épurées et des productions léchées tandis que Dayes injecte des grooves ultra-dynamiques. La chanson “Lift Off” en est un exemple saisissant.
  • Avec Kamaal Williams : Avant de poursuivre une carrière solo, il forme avec le claviériste Kamaal Williams le duo Yussef Kamaal. Leur album "Black Focus" (2016) est salué comme une pierre angulaire du renouveau du jazz britannique. Dans cet opus, les structures sont souvent déconstruites, les harmonies jazz prennent des accents électroniques, et les rythmes flirtent avec le funk et le broken beat. Un album qui reste une référence.
  • Avec des figures du hip-hop : Yussef Dayes a également collaboré avec des rappeurs comme Freddie Gibbs ou Rocco Palladino, et sa batterie est souvent échantillonnée dans des productions hip-hop underground. Cette hybridation, entre improvisation jazz et répétition propre au sampling hip-hop, enrichit encore un peu plus son univers.

Yussef Dayes est avant tout un artiste de live. Sur scène, tout est amplifié : la dynamique, l’énergie et l'interaction spontanée avec les autres musiciens. Ses concerts sont des performances physiques où la batterie semble devenir une prolongation de son corps. Lors d’une prestation mémorable au Jazz Cafe de Londres, il a enchaîné pendant deux heures sans relâche, imprégnant la salle d’une vigueur brute jamais retombée.

Ses sets ne sont pas seulement des démonstrations techniques mais aussi des voyages émotionnels. Dayes capte l'éphémère, le souffle de l'instant. Et même si sa musique est nourrie de nombreux genres, cette vitalité sincère est profondément liée à l’esprit du jazz.

Alors, comment Yussef Dayes parvient-il à fusionner jazz, hip-hop et broken beat ? C’est un mélange de maîtrise technique, d’instinct féroce pour le groove et d’un refus de se limiter à une seule esthétique. Il ne s’agit pas de juxtaposer les styles, mais de créer une alchimie où chaque influence nourrit l’autre. Chez Dayes, tout dialogue : la profondeur du jazz, l’effronterie du hip-hop, et la beauté syncopée du broken beat.

Et ce n’est probablement que le début. Si ses récentes productions et collaborations sont une indication de ce qui suit, Yussef Dayes n’a pas fini de repousser les frontières. Pour les amoureux de musique en quête de nouveauté, il est à écouter, mais surtout à voir. Parce qu’en live, il fait bien plus qu’unir les genres : il les transcende.