Chick Corea : l'alchimiste du jazz fusion et du latin jazz

14 avril 2025

Chick Corea, de son vrai nom Armando Anthony Corea, est né en 1941, à Chelsea, dans le Massachusetts. Déjà, son père, un trompettiste amateur, lui transmet l’amour de la musique. Très jeune, il s’éprend du piano et des grands classiques de Bach, Beethoven et Mozart, mais aussi des disques de bebop qui circulent à l’époque. Entre classique et jazz, son oreille devient un laboratoire en pleine ébullition.

Dans les années 1960, Corea fait ses premières armes dans des groupes de jazz plus traditionnels, jouant aux côtés d’artistes comme Blue Mitchell ou Stan Getz. Mais c’est lorsqu’il rejoint le légendaire Miles Davis à la fin des années 1960 que son chemin prend une autre tournure. Avec l’album "In a Silent Way" (1969) et plus encore "Bitches Brew" (1970), Corea devient l’un des architectes du jazz fusion, ce croisement explosif entre le jazz, le rock et les musiques électroniques. Aux côtés de Miles Davis, il apprend à embrasser l’imprévisible, à déconstruire pour reconstruire, à transformer l’énergie brute en art.

En 1971, après avoir quitté le groupe de Miles Davis, Corea fonda l'un des groupes les plus essentiels de l’histoire du jazz fusion : Return to Forever. Des lignes de basse imposantes de Stanley Clarke aux cascades rythmiques du batteur Lenny White, tout dans la musique de ce groupe incarnait un son nouveau : audacieux, énergique, ancré dans des grooves électriques mais toujours fermement lié aux racines du jazz.

Les premiers albums du groupe, comme "Return to Forever" (1972) et "Light As a Feather" (1973), fusionnent des éléments brésiliens et latins, notamment grâce à la voix de Flora Purim et au jeu de percussion d’Airto Moreira. À cette époque, Corea montre déjà son amour pour les rythmes syncopés, les harmonies luxuriantes et cette empreinte latine qui deviendra sa marque de fabrique. Puis, Return to Forever évolue, devenant plus électrique et flirtant avec le rock progressif, comme en témoignent des albums tels que "Romantic Warrior" (1976). Ce groupe devint ainsi un symbole de virtuosité, de liberté et d’innovation, ancré dans l’ADN du jazz fusion.

Si le jazz fusion a permis à Chick Corea d’explorer la modernité, c'est avec le latin jazz qu'il enterre ses racines au plus profond. Dès sa jeunesse, Corea découvre le monde vibrant de Dizzy Gillespie et sa fascination pour les sonorités cubaines. Ces influences ne cessent de résonner au fil de sa carrière.

L’amour de Chick Corea pour la musique latine s’épanouit pleinement avec des projets comme son célèbre duo avec le vibraphoniste cubain Tito Puente ou encore son hommage au pianiste cubain Ernesto Lecuona avec des compositions qui respirent la chaleur des Caraïbes. On retrouve cette connexion à travers ses compositions emblématiques telles que "Spain", un hommage énergique et joyeux, devenu un standard du jazz moderne. Dès les premières notes, "Spain" capture l’essence même du latin jazz : des rythmes effervescents, un piano vibrant et un dialogue constant entre structure et improvisation.

Dans des projets tels que "My Spanish Heart" (1976), Corea a amalgamé le jazz à des influences flamenco, créant ainsi une œuvre qui mêle traditions et modernité. Pour Corea, le latin jazz n'était pas un exercice académique : c'était un espace libre, un terrain de jeu où il pouvait converser avec l’histoire tout en lui insufflant un vent de fraîcheur.

L’influence de Chick Corea sur le jazz fusion et le latin jazz dépasse les frontières de ses propres créations. Ce qu’il a laissé derrière lui, ce sont autant de balises que les générations suivantes empruntent et réinterprètent. Pourquoi tant d’artistes, de Herbie Hancock à Brad Mehldau, citent-ils Corea comme un inspirateur ? Une partie de la réponse réside dans son approche inébranlable de la recherche sonore.

  • Les claviers électriques : Chick Corea a révolutionné l’utilisation des claviers électroniques dans le jazz fusion. Il jonglait entre piano acoustique, Fender Rhodes et synthétiseurs Moog pour élargir les textures, donnant cet éclat si particulier à des albums comme "Hymn of the Seventh Galaxy".
  • La virtuosité collective : Chez Corea, la technique individuelle impressionnait, mais toujours au service d’une virtuosité collective. Dans Return to Forever, chaque musicien jouait comme une voix essentielle – un dialogue bouillonnant.
  • La narration musicale : Corea ne se contentait pas de jouer : il racontait des histoires. Que ce soit à travers des suites complexes ou des morceaux plus simples, sa musique visait à transporter, à suggérer des univers.

Chick Corea nous a quittés en février 2021, laissant un vide immense dans le monde du jazz. Mais la richesse de ses compositions et l’intensité de ses enregistrements continuent d’inspirer. Artistes contemporains et auditeurs redécouvrent son œuvre comme une carte pour mieux naviguer dans la mer turbulente du jazz moderne. Qu’il s’agisse du groove de Marcus Miller ou des explorations électroniques de Snarky Puppy, on retrouve des fragments de Corea dans toute la musique qui ose briser des frontières.

Au final, Corea a montré que le jazz est avant tout un art d’ouverture et de transformation. Avec le jazz fusion, il a prouvé que les machines et la virtuosité électrique pouvaient se fondre dans une musique vivante, énergique. Avec le latin jazz, il a célébré la richesse des rencontres culturelles, créant des ponts entre les générations et les sons. Aujourd’hui encore, il nous rappelle que le jazz, dans son essence, est une histoire vivante que chacun peut réinventer.