Makaya McCraven : l’architecte du jazz « organic beat music »

14 février 2025

Makaya McCraven, né en 1983 à Paris, n’avait sans doute pas d’autre destin que celui de devenir musicien. Fils d’un batteur de jazz américain, Stephen McCraven, qui collabora avec des géants comme Archie Shepp, et d’une mère chanteuse folklorique hongroise, Ágnes Zsigmondi, Makaya a grandi dans un environnement où les cultures s’entrechoquaient et s’enrichissaient mutuellement. Cette double identité culturelle se reflète dans sa musique : un pont subtil entre les traditions et les avant-gardes.

Installé aux États-Unis dès son enfance, il grandit dans une effervescence sonore inépuisable, des standards du jazz au groove de la soul et aux beats carrés du hip-hop. McCraven commence rapidement à exprimer son talent derrière une batterie. Avant même ses 20 ans, il joue déjà dans des groupes variés et s’imprègne de la diversité des musiques noires américaines.

Mais ce qui distingue Makaya McCraven des milliers d'autres excellents batteurs, c’est sa vision unique et son usage virtuose des outils modernes. L’"organic beat music", qu’il a conceptualisée, est un hybride entre les dynamiques improvisées du jazz live et les techniques de production empruntées à des genres comme le hip-hop et l’électro. Son œuvre repose sur un processus fascinant : il enregistre des performances live de musiciens, puis les déconstruit, les édite et les réassemble en studio pour créer des morceaux au groove irrésistible.

Une méthode de création révolutionnaire

Sa méthode de travail s’inspire directement du DJing et du sampling popularisés par des figures comme J Dilla ou Madlib. Sauf que là où ces producteurs partaient de vieux enregistrements pour créer de nouveaux beats, Makaya McCraven utilise des performances instrumentales modernes. Cette approche lui permet de conserver l’énergie brute de l’improvisation tout en lui ajoutant l’aspect structuré et hypnotique d’une production prolifique.

Dans son album "In the Moment" (2015), McCraven enregistre plus de 48 heures de sessions live dans divers lieux de Chicago avant de les remodeler en 19 morceaux captivants. Cet album marque un tournant dans sa carrière et montre les vastes possibilités de cette "organic beat music". Un journaliste de NPR qualifie le disque de « révolutionnaire », tandis que le prestigieux site Pitchfork le salue pour son caractère rafraîchissant.

Makaya McCraven ne joue pas en solitaire. Il est au cœur d’une scène florissante qui inclut de nombreux musiciens innovants, en particulier sur la scène jazz de Chicago, une ville reconnue pour son audace artistique. Des artistes comme Jeff Parker (Tortoise), Junius Paul ou encore Brandee Younger croisent son chemin, apportant chacun une dimension unique à ses projets.

Mais l’influence de Makaya ne s’arrête pas à l’épicentre américain. Il collabore avec des artistes de diverses origines, ce qui reflète son envie d’unir les genres et les cultures. Sa participation au projet "We’re New Again" (2020), une réinterprétation moderne de l’iconique album de Gil Scott-Heron "I’m New Here", témoigne de sa capacité à insuffler une nouvelle vie à des œuvres historiques sans en trahir l’essence.

Au-delà de son rôle de "simple" batteur, Makaya McCraven se place en véritable architecte sonore. Ses spectacles vivent souvent sur deux temporalités : celle du live, où l’improvisation reste reine, et celle du studio, où il décortique ses performances pour les transformer en pièces musicales adaptées à l’écoute en streaming ou sur vinyle. Ce double emploi – entre spontanéité et minutie – est sans doute l’un des grands secrets de son succès.

Des chiffres qui parlent

Pour comprendre à quel point cette démarche fonctionne, quelques chiffres aident à clarifier l’ampleur de son impact. Premièrement, "In the Moment", sorti chez International Anthem, s’est imposé comme l’un des albums les plus vendus par le label, avec plus de 20 000 exemplaires écoulés – un chiffre impressionnant pour une sortie indépendante. Ensuite, ses vidéos sur les réseaux sociaux dépassent souvent des centaines de milliers de vues, preuve que son approche résonne bien au-delà du cercle restreint des aficionados de jazz.

Makaya McCraven n’est pas qu’un musicien, il est une passerelle. Il transcende les frontières entre ce que certains appellent la "haute culture" du jazz et les formes plus populaires du hip-hop et de l’électro. Avec lui, les barrières tombent, et la richesse infinie de la musique prend toute sa place. C’est moderne, mais profondément ancré dans des racines séculaires. C’est accessible sans sacrifier à l’exigence.

En faisant dialoguer les traditions acoustiques et les outils numériques, Makaya McCraven propose une nouvelle manière d'écouter et de vivre le jazz. Ce qu’il construit, c’est un véritable langage musical, où chaque improvisation peut être déconstruite et recomposée en une symphonie contemporaine.

Alors que des artistes comme lui redéfinissent les codes du jazz, une nouvelle génération se construit déjà sur ces bases. Makaya McCraven n’est pas seulement un pionnier, il est un catalyseur. Dans les années à venir, il sera fascinant de voir comment son approche influencera les autres scènes créatives, que ce soit dans le jazz, le hip-hop ou la musique électronique.

Quand vous écoutez un morceau de Makaya McCraven, vous n’entendez pas seulement les battements d’une batterie ou les notes d’un saxophone. Vous assistez à une conversation entre passé et futur, entre improvisation et contrôle, entre énergie brute et savoir-faire méthodique. Makaya McCraven ne fait pas que jouer du jazz : il en invente de nouveaux horizons. Et cela, c’est un voyage qui ne fait que commencer.

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