Leïla Martial : une voix qui réinvente le jazz vocal

9 février 2025

Originaire du sud-ouest de la France, Leïla Martial a grandi au cœur d’une famille de musiciens. C’est dans cet environnement riche en sons et en échanges qu’elle fait ses premières armes, jouant au gré des influences de ses proches. Rien, cependant, ne la prédestinait totalement à devenir l’une des artistes les plus audacieuses de sa génération.

Après avoir intégré la prestigieuse école de jazz du CNSM de Paris à seulement 18 ans, Martial affine rapidement sa technique, mais réalise vite que les chemins traditionnels ne sont pas faits pour elle. Elle abandonne toute attache aux formats classiques pour plonger dans l’improvisation, une liberté qui deviendra sa signature. C’est véritablement en 2012, avec son premier album "Dancefloor", qu’elle marque la scène jazz de son empreinte unique.

Le mot juste pour définir la voix de Leïla Martial serait peut-être « caméléon ». Elle est à la fois lyrique et percussive, mélodique et bruitiste, intime mais aussi furieusement explosive. Son approche va au-delà du simple chant : elle utilise sa voix comme un instrument à part entière.

  • L’art du scat revisité : Puisant dans les traditions du scat jazz popularisé par des légendes comme Ella Fitzgerald, Martial pousse ces techniques plus loin en ajoutant une dimension presque théâtrale à ses improvisations.
  • Le langage inventé : L’une des spécificités de l'artiste est son utilisation d’un langage imaginaire, une forme de glossolalie poétique. Ce « chant dans une langue qui n’existe pas » permet à Martial de jouer sur la pure musicalité des mots et des sons, sans être limitée par une signification précise.
  • Un éventail sonore impressionnant : Martial maîtrise un éventail de timbres vocaux et de textures presque infini. Sa voix peut simuler une contrebasse, une guitare, ou même un instrument électronique, tout en gardant une profondeur humaine incomparable.

Le résultat est souvent stupéfiant : un véritable dialogue entre elle et ses musiciens où sa voix devient tantôt un guide, tantôt une exploratrice parmi d’autres dans des territoires sonores vierges.

Leïla Martial ne s’inscrit pas dans une case. Et cette liberté d’esprit se reflète dans son approche au-delà du jazz. Elle puise à la fois dans les musiques ethniques, les traditions vocales bulgares, le folk, mais aussi dans des registres contemporains comme l’électro ou le free jazz. Ce mélange des genres ne relève pas simplement de l’expérimentation, il s’agit d’un dialogue constant entre passé et futur, entre racines et innovation.

Un exemple emblématique de cette fusion est son projet "Baa Box", initié en 2016 avec le bassiste Pierre Tereygeol et le batteur Éric Perez. Dans cet ensemble, la voix devient un laboratoire vivant, s’entrelace avec des boucles rythmiques complexes et des harmonies surprenantes. L’album "Warm Canto", sorti en 2019, témoigne de cette volonté de brouiller les frontières, de surprendre l’auditeur à chaque note.

Si son audace artistique et son authenticité séduisent un public croissant, elle est aussi reconnue par la profession. En 2020, Leïla Martial reçoit la prestigieuse Victoire du Jazz dans la catégorie "Artiste Vocal de l’Année", une consécration qui confirme sa place à la fois dans le cœur des amateurs de jazz et auprès de ses pairs musiciens.

Son impact dépasse le cadre des scènes françaises. Des festivals internationaux comme Jazz à Marciac, le London Jazz Festival ou encore le North Sea Jazz Festival l’ont accueillie, suscitant toujours l'enthousiasme pour ses performances intenses et imprévues. Qu’on soit féru de jazz ou totalement étranger au genre, assister à un concert de Leïla Martial résonne comme une expérience immersive où l’on est littéralement happé par la musique.

Au-delà des prouesses techniques et de la virtuosité, la musique de Leïla Martial porte un message puissant : celui d’être en accord avec soi-même, avec sa créativité, et avec le monde. Elle incarne une philosophie où le risque, l’authenticité et l’émotion priment sur toute forme d’attachement aux conventions. Dans ses performances, on ressent cet appel à renouer avec l’essentiel, à écouter autrement et intensément.

Alain Gauthier, critique jazz au journal "Libération", a un jour résumé son art ainsi : « Martial ne fait pas de musique pour le public, elle fait de la musique pour interroger le silence. » Une phrase qui capture parfaitement cette capacité unique qu’elle a de transformer une écoute en introspection collective.

À une époque où les genres musicaux se croisent et se mélangent comme jamais auparavant, Leïla Martial représente une figure de proue de cette révolution créative. Elle ne se contente pas de perpétuer les traditions du jazz vocal, elle les transcende pour créer un univers sonore véritablement nouveau et captivant. C’est cette absence de compromis, cette inventivité sans limites qui fait d’elle une voix incontournable du jazz expérimental contemporain.

Enfin, Leïla Martial nous rappelle que l’essence du jazz est l’improvisation, mais pas seulement au sens musical. Improviser, c’est aussi prendre des chemins inexplorés, poser des questions sans réponses, accepter le désordre magnifique que peut être la création. Et si le jazz est un art de la liberté, alors Leïla Martial est sans aucun doute l’une de ses plus ferventes représentantes.

Leïla Martial en concert, incarnant la puissance de l'improvisation

Écouter Leïla Martial, c’est s’offrir un voyage. Si son nom ne figure pas encore dans vos playlists ou si vous n’avez jamais assisté à l’une de ses performances, vous passez à côté de quelque chose de rare, d’intense, d’inoubliable. Commencez par l’album "Baabel" ou plongez directement dans ses captations live pour comprendre toute la magie de son art. Une chose est sûre : sa voix changera votre manière d'entendre et de ressentir la musique.

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