Kokoroko : Quand le jazz et l’afrobeat vibrent à l’unisson
14 février 2025
14 février 2025
Kokoroko voit le jour à Londres, ville-monde où les cultures se croisent et s’enrichissent mutuellement. Le groupe, dont le nom signifie « être fort » en langue urhobo (parlée au Nigeria), est formé autour de Sheila Maurice-Grey, trompettiste à l’énergie débordante, à la tête d’un collectif de musiciens issus d’horizons divers.
Le noyau dur du groupe compte huit membres : Sheila Maurice-Grey, Cassie Kinoshi (saxophone alto), Richie Seivwright (voix et trombone), Yohan Kebede (claviers), Mutale Chashi (basse), Onome Edgeworth (percussions), Tosin Adeniji (chant) et Ayo Salawu (batterie). Tous partagent une passion commune pour la musique africaine et afro-caribéenne. Nourris par leurs racines et leurs expériences personnelles, ces jeunes artistes plongent dans les sonorités de Fela Kuti, Ebo Taylor ou Tony Allen, tout en puisant dans le jazz contemporain et les rythmiques urbaines de Londres.
C’est ce bouillonnement culturel et identitaire qui définit leur musique : une fusion organique et sincère de traditions africaines et d'influences modernes. Là où beaucoup s’efforcent de reproduire le passé, Kokoroko s’en sert comme tremplin pour le faire briller sous une nouvelle lumière.
En 2019, Kokoroko frappe un grand coup avec « Abusey Junction », une composition instrumentale qui devient une sorte d’hymne officieux du mouvement émergent jazz/afrobeat. Le morceau, inclus dans la compilation « We Out Here », orchestrée par le saxophoniste Shabaka Hutchings, transcende les frontières et recueille des millions d’écoutes en streaming (plus de 50 millions sur Spotify).
Pourquoi ce titre a-t-il eu un tel impact ? Tout commence avec une introspection émotionnelle. Yohan Kebede, le pianiste du groupe, écrit « Abusey Junction » alors qu’il séjourne en Gambie, méditant sur ses racines africaines et le poids de la tradition. Le résultat est une composition lente, aérienne, presque méditative. La ligne de guitare douce et mélancolique se mêle aux cuivres chauds et enveloppants, dessinant une atmosphère à la fois nostalgique et profondément moderne.
Ce morceau capture à lui seul l’essence de ce que propose Kokoroko : du jazz comme langage universel, où l’âme de l’afrobeat est célébrée avec subtilité. Une musique qui résonne autant avec les anciens amateurs de Fela qu’avec les nouvelles générations.
Pour comprendre comment Kokoroko incarne le renouveau du jazz afrobeat, il faut replacer leur succès dans un contexte plus large : l’effervescence de la scène jazz londonienne de ces dix dernières années. Des artistes comme Ezra Collective, Nubya Garcia ou Sons of Kemet forment une constellation mouvante où les musiciens collaborent, se croisent et se nourrissent artistiquement dans une furieuse quête de modernité.
Londres, bastion historique des diasporas africaines et caribéennes, s’est révélée être un terrain fertile pour cette résurgence musicale. Le melting-pot culturel de la ville joue un rôle central dans l’émergence de formations comme Kokoroko, dont les membres partagent souvent des origines africaines et britanniques. Mais là où Kokoroko se démarque, c’est par leur attention minutieuse aux textures sonores et rythmiques proprement africaines.
Impossible de parler de l’afrobeat sans évoquer Fela Kuti et Tony Allen, les architectes du genre. Kokoroko ne cache jamais ses influences et accepte humblement cet héritage monumental. Ils utilisent cependant ces racines comme base – jamais comme finalité.
Chez eux, le beat caractéristique de l’afrobeat se module au gré des explorations. Moins frénétique que le style original, leur afrobeat intime et feutré se laisse subtilement envahir par des touches de néo-soul, de hip-hop ou même d’ambient. Et pourtant, l’esprit reste le même : une musique de résistance, un médium pour exprimer une double identité culturelle.
Un autre atout majeur de Kokoroko réside dans leur identité visuelle et leur univers conceptuel. Le groupe sait autant capter l’attention par la musique que par la qualité de ses idées graphiques, son image scénique, et sa capacité à tisser une véritable histoire autour de leurs morceaux.
Leurs visuels, clairs et colorés, donnent à voir une esthétique africaine contemporaine où se mêlent tradition et modernité. Regardez leurs pochettes d’albums, leur mise en scène lors des concerts : tout dialogue avec une volonté de rendre hommage à la richesse visuelle de leurs racines africaines tout en s’ancrant dans Londres, ville au carrefour des mondes.
Depuis leurs débuts, Kokoroko a su dépasser les frontières du Royaume-Uni. Leur premier EP éponyme (2019) a été acclamé par la critique, avec des morceaux comme « Ti-de » et « Uman » qui renforcent l’évolution de leur son unique.
De Glastonbury à Montreux, Kokoroko est devenu un nom incontournable des festivals internationaux, amenant l’afrobeat à des publics souvent peu familiers avec cette musique. Leur album « Could We Be More » (2022), leur premier véritable opus, propulse encore plus loin leur discours. Il offre une ampleur narrative : c’est un voyage musical où chaque morceau reflète un pan de leur vision de la culture diasporique. Le disque atteint les classements « jazz & soul » à l’international et confirme leur statut de dépositaires modernes de l’afrobeat.
Kokoroko dépasse la simple reproduction ou hommage aux générations passées. Ils incarnent la capacité de l’afrobeat et du jazz à évoluer. Là où certains pourraient voir une tradition figée, eux la voient comme une matière vivante, à réinventer.
Avec leur musique réfléchie mais instinctive, leur connexion à leurs racines africaines combinée à leur immersion dans la modernité londonienne, Kokoroko réunit des mondes entiers en un seul groove. C'est une musique qui parle au cœur autant qu'à la tête, à la mémoire comme au futur.
Alors, quand vous les écoutez, que ce soit sur disque ou en live, ce n’est pas seulement une performance que vous entendez : c’est une invitation au voyage, une renaissance sonore. Et c’est précisément pour cela que Kokoroko est bien plus qu’un groupe parmi d’autres. Ils sont une promesse, une preuve que le jazz et l’afrobeat – ces musiques enracinées dans l’histoire et la lutte – ont encore tant de choses à nous montrer.